CDASO

Commission Départementale d'Archéologie Subaquatique de l'Oise

Problématiques des épaves contemporaines

Réflexions sur l'étude des épaves contemporaines à l'occasion d'un audit réalisé pour la Commission Nationale d'Archéologie Sous-Marine FFESSM :

 

 

Présentation de l'état de la recherche sur les épaves contemporaines, à l'occasion des journées du DRASSM 2012

  

 

Le texte en Pdf
Diaporama présenté à la journée du DRASSM 2012   


  

 

LES ÉPAVES CONTEMPORAINES

ÉTAT DES LIEUX

 

PRÉSENTATION

Déf : vestiges d'objets flottants (ou volants), de construction métallique et ou à propulsion mécanique.

Sites dont l'étude ne peut se faire avec les moyens conventionnels de l'archéologie sous-marine, et en particulier l'excavation.

 

Ces épaves bien que récentes, méritent d'être étudiées. Les objectifs et les moyens mis en œuvres sont différents, et c'est l'objet de cette présentation.

 

HISTORIQUE

Les épaves métalliques sont innombrables. On estime leur nombre à plus de 15 000 , rien que sur le littoral métropolitain, Manche, Atlantique et Méditérranée.

Elles ont depuis les débuts de la plongée sous-marine de loisir été visitées par les plongeurs. Les séquences du film de “le silence de la mer” a d'emblée montré le mystère, la magie, l'irrésistible attraction qu’exercent ces vestiges sur les plongeurs.

Les premières études de ces sites sont cependant relativement récentes :

Aux états-unis, ce sont les vestiges de la guerre de Sécession qui ont retenu l'attention : épave du Monitor, du Hunley, et de quelques ferries impliqués dans le conflit. En général ce sont tout ou partie de ces navires qui sont remontés pour être présentés au public, après conservation, dans des musées. Ces études sont le fait d'universités (East Carolina University,Texas A&M University ), d'association (Institut of Nautical Archaeology) ainsi que de la NOAA (National Oceanic and Atmosphéric Administration).

Mais c'est sans doute en Australie que les travaux ont été les plus précoces, approfondis et fructueux.

Le système de gestion des biens maritimes immergés, reposant sur le “classement” des sites sur un registre qui permet leur protection, par l'exclusion de la plongée loisir, et les critères de cet enregistrement, a nécessité l'expertise de nombreux navires relevant de cette catégorie contemporaine.

Nombre de ces épaves ont été classées (le problème étant d'ailleurs, que les critères de classement sont tels que tout site pourrait y prétendre) et certaines étudiées en détail.

On peut citer le cas exemplaire du S.S. Xantho.

 

EN FRANCE

Si la plongée sur les épaves constitue une base incontournable de la plongée loisir, les études scientifiques de ces sites sont peu nombreux.

Pour autant de nombreux groupes ou individus s'intéressent à ces navires, à des niveaux divers, de façon exclusive ou dans le cadre de l'archéologie sous-marine dans son ensemble. Les recherches de ces groupes donnent lieu à des articles dans les revues de plongée sportive, ou des revues d'histoire locale. L'édition de livres consacrés aux épaves connait une belle explosion. Pour autant, si ces ouvrages reposent sur des recherches documentaires, des archives souvent très riches, elles restent des études grand public, et en général le site de l'épave est simplement décrit, accompagné de dessins souvent de bonne qualité, mais qui tiennent parfois plus du schéma, pas toujours juste d'ailleurs. (photo des livres)

On peut citer, pour les opérations archéologiques standard l'épave du Colombian, du SSC Alabama.

Plus récemment vient de se terminer la fouille exemplaire du Prophète. Exemplaire car elle a mis en présence deux types de plongeurs : des plongeurs archéos conventionnels, habitués aux chantiers classiques, avec usage de la suceuse par exemple, et des plongeurs épaves, armés de leurs appareils photos et planchette immergeable, dont le travail a beaucoup consisté à tenter d'identifier et de comprendre les structures concrétionnées du site. Exemplaire également parce que cette épave est connue de tous les plongeurs loisirs, qui la fréquentent régulièrement lors des sorties au départ de Cavalaire, où elle s'inscrit dans un programme de plongées épaves regroupant d'autres navires très connus : Espingole, Togo, Rubis. Exemplaire donc, car, malgré cette fréquentation régulière, de nombreux éléments de sa structure se sont avérés inédits, non décrits, uniques. Ces découvertes

 

Des équipes du Ponant étudient de façon régulière et pratiquement exclusive les épaves métalliques : Emmanuel Feige avec le Mekness, les membres d'un club de Quimper, l'équipe de Jean-François Jeu s'intéresse à l'identification de navires de la seconde guerre mondiale.

Notre équipe travaille actuellement sur les épaves du secteur très riche de Dieppe. Plus précisément nous faisons une monographie précise du train-ferry HMS Dafodil, construit en 1917 dans le cadre de l'effort de guerre du premier conflit mondial, et coulé sur une mine en 1945. Nous réunissons une bibliographie complète, des documents d'archive de première main, des images d'époque et du site, tant photo que vidéo, et travaillons sur une restitution graphique du site dans son état actuel. Tout ceci dans le cadre d'une monographie complète. Par ailleurs, nous développons les outils et la réflexion sur cette pratique de l'étude concrète d'un site contemporain, et à ce titre on peut parler de chantier école.

 

INTERET, PROBLÉMATIQUES

En tant que pionnier, c'est Mick McCarthy, dans sa monographie du Xanto, qui expose pour la première fois les arguments en faveur de la prise en compte des épaves contemporaines, répondants aux questionnements et aux doutes de certains archéologues sur la pertinence de ces travaux. On assiste là à une sorte de querelle des anciens contre les modernes.

 

D'autres éléments sont à prendre en considération :

La dangerosité des cargaisons

les risques pour l'environnement

l'entretien de la mémoire sur des évènements récents.

 

CONSÉQUENCES : DIFFÉRENTS TYPES D'ÉTUDES

En partant de ces caractéristiques des épaves contemporaines, il est possible de définir quelques pistes pour les étudier, des problématiques qui peuvent d'ailleurs se recouvrir sur le même site :

Une étude technologique, de tout ou partie de l'épave, qu'elle représente un jalon particulier de l'évolution des techniques, ou que son état de conservation permette de bien visualiser un élément spécifique mais souvent dégradé sur les autres sites,

Une évaluation de l'impact actuel et futur, compte-tenu de la dégradation inéluctable de sa structure, de sa présence sur le milieu, concernant sa cargaison, et les polluants qu'elle peut contenir. Évaluer, prévoir les risques de fuite de carburant, par exemple.

Une étude historique du site, qui sert de point d'appui, sorte de preuve matérielle, d'un événement remarquable, ou inconnu, inédit, à l'échelle nationale ou locale.

Une description de l'épave, de sa structure, de sa disposition, de son historique en tant que site : les modifications qu'elle a subies depuis son naufrage, et leurs causes, aboutissant à un navire quasiment intact ou un champ de débris dispersés sur le fond.

 

LES MOYENS D'ÉTUDES

La fouille de l'épave du Prophète a montré les limites de l'usages des techniques de l'archéologie conventionnelle. La suceuse, aspirateur à sédiment, efficace dans un milieu ouvert, est inutile dés que les éléments métalliques deviennent trop denses : la corrosion les soude entre eux, formant un maillage inextricable, indéplaçable, à moins de casser les éléments, au risque d'en perdre la compréhension, car l'identification sur site de la nature et du rôle d'une structure corrodée n'est pas simple.

Le déplacement de grands éléments métalliques est impossible et dangereux sans moyens lourds.

Les dimensions des sites, aussi bien dans leur emprise que dans leur hauteur, rendent les mesures délicates à réaliser. Un carroyage ne peut pas être installé, gêné par les éléments en trois dimensions. . Seules les mesures en triangulation sont possibles.

La restitution sous forme de dessin est relativement difficile. Les structures étant déplacées, déformées, il n'est pas possible de s'appuyer sur les plans d'origine, sauf pour vérifier la cohérence du dessin obtenu avec les dispositions initiales.

Le site évolue, et d'année en année, des changements sont perceptibles. Il n'est pas stable. La restitution graphique ne sera donc qu'un instantané.

 

Les outils :

Prospection, repérage :

Le magnétomètre est un outil performant, qui permet de localiser un site métallique rapidement. Une épave métallique située à une vingtaine de mètres de profondeur va perturber le signal dans un rayon de plus de deux cents mètres. Son utilisation nécessite une réelle technicité, et les résultats sont plus difficiles à obtenir dans une mer un peu agitée ou à fort courant.

Les moyens de recherche permettant une visualisation du site sont préférables. Le sonar latéral donne des images spectaculaires, bien que reposant sur un matériel onéreux, très délicat à utiliser.

Les sondeurs en trois dimensions comme de Humminbird 1197c sont beaucoup plus simples à mettre en application. Les images sont limitées par la profondeur et déformées par les mouvement de roulis de l'embarcation sur laquelle est fixée la sonde. Ces inconvénients peuvent être éliminés en bricolant une sonde tractée, de type poisson de magnétomètre, ainsi que l'utilise déjà une équipe de prospecteurs bénévoles. Dans tous les cas, ces systèmes de détection ont l'avantage de restituer directement la morphologie du site, l'intégrité de l'épave, ses points remarquables, et, le cas échéant les petits impacts situés autour, qui pourraient échapper au plongeur. Exemple les mouillages du Speerbrecher de Lorient, à plus de 50 mètres de l'épave, mis en évidence sur une image sonar réalisée par André Lorin, jamais décrits auparavant.

 

Au fond :

La planchette immergeable et le décamètre restent les outils de base.

La photographie est indispensable : elle permet de garder la mémoire de détails qui ne seront pas nécessairement indiqués sur un plan de restitution. Mais encore faut-il des images valides. Bien trop souvent, même dans le cadre d'une recherche officielle, les photographies ne sont que des illustrations, faisant ressortir l'aspect esthétique d'un site, quand ce n'est pas la faune et la flore. Pour réaliser des images ayant une vraie valeur documentaire, le photographe doit suivre un certain nombre de règles, et, notamment ne pas oublier de faire toutes les faces d'un objet. Le matériel requis, dans des conditions de luminosité et de turbidités parfois défavorables, avec l'objectif de photographier des structures parfois de grandes dimensions, doit être particulièrement performant. Or, les plongeurs amateurs, s'ils sont pour la plupart équipés, le sont souvent avec des petits APN qui ne permettent pas des images de qualité.

La vidéo est également un outil nécessaire, voire indispensable. Elle permet de positionner les éléments les uns par rapport aux autres, d'affiner la restitution graphique. Ici encore les deux points essentiels sont : respect d'un plan préétabli, et matériel de qualité. Pour ce dernier point cependant, on trouve actuellement sur le marché des petites caméras légères et d'un prix raisonnable, qui donnent des résultats spectaculaires en terme de grain, de luminosité et de couverture angulaire.

 

PERSPECTIVES ET CONCLUSION

 Il ressort de ce qui précède que ce type d'étude nécessite une certaine technicité, le respect de procédures, et des connaissances de base solides. Il s'agit d'un réel travail. Si l'objet de l'étude se laisse découvrir dés la première plongée, contrairement à un site archéologique sous-marin classique, son étude n'en est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Les dimensions, l'architecture en trois dimensions, la multitude d'éléments, sont autant de contraintes qui demandent de la méthode, et du temps.

Ces études peuvent fédérer des équipes certes pleines de bonnes volontés, mais manquant de rigueur, faute d'encadrement, de directives. Elles donnent le moyen de pratiquer un autre type de plongée, qui peut amener celui qui la pratique, à aller plus loin, et à s'intéresser à l'archéologie conventionnelle.

 

Michel Huet, 2012